Enquêtes terrestres

L’œuvre de Bruno Latour, notamment Comment atterrir ? et Où atterrir ?, invite à repenser notre relation au monde à travers la notion de Terrestre. Face à l’échec des approches globales (hors-sol, abstrait, technocratique), locales (repli identitaire, nostalgique) ou modernistes (croissance, extraction, domination de la nature), Latour propose de se réancrer dans les territoires concrets, de reconnaître nos dépendances écologiques et sociales, et d’adopter une posture politique et responsable face aux milieux dans lesquels nous vivons.

Après 7 années de collaboration avec Latour sur ce sujet et celui de la zone critique (2015-2022), shaā conçoit une architecture directement liée à la démarche Comment atterrir ?, qui n’est un style ni une esthétique, mais une posture politique, écologique et spatiale. C’est une architecture qui répond à la question centrale du philosophe :

Où et comment habiter quand l’idée de progrès illimité et de mondialisation hors-sol s’effondre ?

Atterrir, c’est reconnaître que nous dépendons de milieux concrets, identifier ce qui nous fait vivre, accepter la fin d’un monde illimité, se réancrer dans des territoires spécifiques et vulnérables. Une architecture issue de Comment atterrir ? serait une architecture du Terrestre.

Un ancrage radical

Le projet commence par la question : De quoi dépend-on ici pour vivre ? Sols, eau, climat, ressources, infrastructures, chaînes d’approvisionnement deviennent des éléments constitutifs du projet. L’architecture ne « s’importe » pas : elle émerge d’un territoire précis.

Une architecture politique

Atterrir est un geste politique. L’architecture rend visibles les dépendances (énergie, eau, matières), met en scène les conflits d’usage, prend position face aux choix écologiques. Un bâtiment ou un projet d’aménagement peut devenir un outil de débat public, un lieu où se négocie l’habitabilité.

Architecture comme enquête

Dans la continuité de la démarche Latourienne, le projet est une enquête collective, il mobilise scientifiques, habitants, élus, non-humains ; il cartographie les controverses. Le projet architectural n’est pas la conclusion, mais un moment dans un processus de connaissance.

Le projet bâti ou l’aménagement urbain est un dispositif d’enquête, d’expérimentation et de dialogue plutôt que comme un objet fini. Les cartes, coupes et récits deviennent des outils d’apprentissage et de négociation.

Prise en compte des doléances et outils pratiques 

Cet urbanisme / architecture intègre activement les doléances des habitants et des acteurs du territoire.

Les outils développés dans Comment atterrir ?, en particulier la boussole du Terrestre, servent à localiser et prioriser les enjeux territoriaux, les flux, et les dépendances des acteurs. Ces outils, créés par shaā/SOC ont été adaptés et mis en pratique par shaā, permettant de transformer les principes théoriques de Latour en démarches concrètes pour le projet architectural et urbain.

Atterrir c’est renoncer à l’architecture hors-sol

Une architecture terrestre refuse les formes génériques, les matériaux déterritorialisés, les bâtiments autonomes énergétiquement mais dépendants ailleurs, l’illusion de neutralité. À l’inverse, elle assume sa dépendance, sa fragilité, et sa responsabilité. L’Architecture se fait interface (entre sol et atmosphère ; entre humain et non-humain ; entre infrastructures et usages quotidiens. Elle peut être modeste mais stratégique (petits dispositifs, transformations du déjà-là, réparations, adaptations, réemplois). Elle est enfin située dans la zone critique (habiter l’épaisseur du monde, travailler les flux plutôt que les objets, penser les limites planétaires localement).

Représenter pour atterrir

Nous insistons sur le rôle des outils de représentation pour changer de monde : cartes de dépendances, récits territoriaux, coupes sol–atmosphère, liens avec nos projets Terra Forma et Gaïagraphies.

Une architecture liée à Comment atterrir ? est une architecture qui accepte ses dépendances, rend visibles ses attaches et aide les collectifs à se réancrer dans des territoires habitables.