La crise climatique nous oblige à repenser notre rapport à la Terre, à l’espace. Disparition des sols, extinction d’espèces, désertification, guerre de l’eau, submersion des fronts de mer, inondation des vallées : la ruine des territoires provoquée par l’Anthropocène génère une crise de l’espace qui interdit de nous contenter d’un relevé physique selon les paramètres anciens et nous impose de questionner nos outils d’observation et de description. Le manque d’image et d’imaginaire communs est un obstacle majeur à la compréhension des rôles et des interactions dans les milieux en ruines. Nous avons besoin de représentations communes de ce que signifie habiter sur Terre aujourd’hui. Ces enjeux doivent être adressés par une discipline telle que l’architecture qui place l’habitabilité au cœur de ses valeurs. (voir Manifeste shaā). Pour cela, notre atelier d’architecture développe un fort pôle de recherche et développement qui structure l’ensemble des projets et oriente toutes les décisions de conception des projets.
Ainsi, recherche-développement constitue la plupart des activités de l’entreprise, puisque les projets développés par l’entreprise s’inscrivent dans le cade de recherche-action ou de recherche-création avec plusieurs partenaires institutionnels de recherche. La recherche action, comme la recherche création, vise la production de connaissances à travers des actions ou productions impliquant le contexte d’élaboration desdites connaissances. Ces deux approches contextualisent les problèmes et demandent un engagement participatif ou une co-construction des connaissances avec les personnes directement impliquées dans la situation ou le problème étudié (membres de la communauté, praticiens, décideurs et autres parties prenantes). Les projets de recherche menés par shaā cofondé en 2017 par Soheil Hajmirbaba et Alexandra Arènes (qui ont collaboré sur de nombreux projets de recherche avec des chercheurs de renom comme Bruno Latour (SciencesPo), Frédérique Aït-Touati (CNRS, EHESS) ou Jérôme Gaillardet (IPGP, OZCAR)), se situent dans cette démarche de recherche action et création – puisque les projets impliquent les acteurs et intègrent la création artistique et la production d’œuvres dans le processus de recherche. En s’inscrivant dans les dynamiques sociales et écologiques, les projets de recherche création ont une performativité transformative : il s’agit de doter les acteurs d’outils et de connaissances pour apporter un changement positif dans les pratiques et les politiques, en utilisant des méthodes mixtes, académiques, artistiques ou architecturales.
L’entreprise privilégie ainsi les enquêtes longues issues des pratiques de terrain et impliquant un réseau d’acteurs de diverses disciplines. Actuellement, trois enquêtes principales menées de concert avec SOC : Terra Forma; Où atterrir ?; CZO, Critical Zones, donnent lieu à la production de divers objets multimédias (livres, ateliers, installations, cartographies…). L’objectif principal est d’intégrer les sciences de l’environnement et les sciences politiques dans les projets d’urbanisme et d’architecture. L’enquête (ethnographique, sociale, écologique, etc) est la base de notre travail de recherche et la collaboration qu’elles impliquent avec les acteurs concernés façonnent des projets innovants. Ces projets se concrétisent par des ateliers, la production de cartographies alternatives, la mise en espace et la construction avec des techniques et matériaux innovants.
Le départ de la recherche à Atelier shaā est une collaboration pendant près de 6 ans avec Bruno Latour, penseur et faiseur de projets interdisciplinaires entre art, sciences, sociologie des sciences, écologie politique, humanités environnementales, philosophie. shaā a pu travailler, expérimenter, rechercher, avec lui ces dernières années, et déployer des méthodes et des réflexions essentielles pour l’architecture. Cela a contribué à modifier, enrichir nos pratiques et à nous intéresser plus particulièrement à deux ‘modes d’existences’ : la science et la politique.
Les enquêtes-projets sont des projets longs qui mobilisent des acteurs de différentes disciplines. La restitution de ces enquêtes-études à un public est aussi un enjeu fort. C’est pourquoi le déroulement et les méthodes de travail pour mener ces projets utilisent différents médiums : recherche, espace (installation, scène, architecture), ateliers de travail et cartographies. L’objectif est de partager des processus et de mettre en place des procédures ou des outils manquants afin de répondre au mieux à chacun des sujets. Ceux-ci ont d’ailleurs émergés suite à des interrogations concernant la pratique d’architecte. Artefact permettant de collecter les connaissances et de décrire la richesse des mondes, humains et non humains, sans effacer la diversité des points de vue, l’objet-frontière est un terme issu de la théorie de l’acteur réseau. Il est le support de traductions hétérogènes, un dispositif d’intégration de savoirs divers, experts et non experts. Il est donc caractérisé par une flexibilité interprétative qui permet de nous confronter à nos matériaux de terrain. L’objet-frontière est pour nous un attracteur d’actions : recherche ; prototypage ; représentation ; échange/discussion ; performances ; publication ; design.
Les projets de recherche-développement par dates
2023-2025 – TERRA FORMA Equipex CNRS, WP4 – « Cartographier les observatoires de l’Anthropocène ».
2023-2024 – Prospective Lorient – représentation des données de recherche (modélisations de scénarios climatiques) et d’un projet de sciences participatives autour de capteurs de Nitrate. Université de Rennes. OSUR.
2023-2024 – Où atterrir dans le Brézouart ? recherche-action Les nouveaux cahiers de doléances pour le Jardin des Sciences de Strasbourg autour de la commune d’Aurbure. Avec Soheil Hajmirbaba et l’OHGE
2022-2023 – Mission cartographique pour les Ateliers Luma à Arles, « Cartes (re)sources ».
2022 – Art Residency « The Future of High Waters » in Venice, STARTS4Water hosted by TBA21 avec Sonia Levy (artist), Meredith Root-Bernestein (CNRS Museum paris) and Heather Anne Swanson. 2020-2022 – Où atterrir à Ris Orangis ? recherche-action Les nouveaux cahiers de doléances pour la Mairie ; création du premier Laboratoire des Doléances. Avec Soheil Hajmirbaba et Bruno Latour.
2020-2022 – Où atterrir à Arles ? recherche-action Les nouveaux cahiers de doléances pour la Fondation Luma Arles. Avec Soheil Hajmirbaba
2019-2022 – « Terra Forma, cartographier les cosmopolitiques de la Terre ». Centre des Politiques de la Terre, IdEx Université de Paris, ANR-18-IDEX-0001. Avec Axelle Grégoire et Eric Gayer 2018-2022 – Bourse SEED, Université de Manchester (bourse PhD).
2020-2021 – « Où Atterrir ? Les Nouveaux Cahiers de Doléances » Projet Pilote dans la Région Centre, France. Ministère de la transition écologique et solidaire. Avec Bruno Latour et S-Composition
La recherche développement s’appuie sur des corpus en sciences sociales et humanités environnementales qui traitent du lien entre nature, technologie et crise environnementale. Les projets de l’entreprise visent à mettre en action ces recherches en les ancrant dans des contextes territoriaux, politiques et scientifiques actuels.
Comprendre l’évolution des territoires dans l’Anthropocène est crucial pour l’habitabilité de la Terre. La crise environnementale renouvelle l’attention portée aux éléments granulaires tels que les produits chimiques, le sable, les nutriments, l’eau, les vers de terre, les champignons, etc. (Tsing 2015, 2017, 2021). En effet, leur éventuelle disparition ou transformation menace les établissements humains : l’habitabilité de notre planète dépend de ces différentes entités et de leur enchevêtrement. C’est la manifestation de « l’intrusion de Gaïa », terme proposé par Stengers (2015) après la découverte scientifique de l’hypothèse Gaïa par Lovelock et Margulis (1979, 1995, 1998), puis approfondi par le sociologue Latour (2017, 2020), et le biochimiste Lenton (2019, 2020). L’intrusion de Gaia souligne les effets de l’Anthropocène (Crutzen 2000, 2002, Zalasiewicz 2015, 2016, 2020, Bonneuil et Fressoz 2016) mais c’est aussi une approche beaucoup plus cosmopolitique du problème dans lequel les humains ne peuvent pas résoudre seuls les changements qu’ils ont déclenchés, parce que les organismes vivants ont leur propre façon de répondre et de façonner la « nature ». Par conséquent, deux visions de la « nature » s’affrontent : la vision anthropocentrique, qui perpétue une idée de la nature comme un corps passif, un arrière-plan des activités humaines, comme le critiquent de nombreux auteurs (Haraway 1988, Olwig 2008), et la vision cosmopolitique (Stengers 2010, Latour 2004, 2010), dont l’approche vise à mieux comprendre cette intrusion de Gaia, à travers la variabilité, l’agence, la complexité et la pluralité des entités naturelles (Yaneva 2015), et à relier ce cosmos complexe à la politique (Stengers 2010, 2020).
La Science, Technologie et Société (STS) est un domaine interdisciplinaire qui examine les interactions complexes entre la science, la technologie et la société (Latour et Woolgar S. 1979 ; Latour 1988, 2005 ; Galison 2014). Plusieurs auteurs en STS ont contribué à la compréhension des enjeux sociaux, politiques et éthiques liés à aux technologies des capteurs de l’environnement. Donna Haraway, dans son ouvrage influent « Manifeste Cyborg » (1985), explore la fusion entre les organismes biologiques et les machines. Bien que cela ne se concentre pas spécifiquement sur les capteurs, ses idées ont des implications pour la manière dont nous conceptualisons les technologies environnementales et leur relation avec les êtres vivants. Bruno Latour, célèbre pour son approche de l’acteur-réseau, examine comment les objets, y compris les capteurs, agissent en tant qu’acteurs sociaux. Son travail souligne l’importance de comprendre les réseaux complexes dans lesquels les technologies environnementales sont insérées. Jennifer Gabrys, dans son ouvrage « Program Earth: Environmental Sensing Technology and the Making of a Computational Planet » (2016), explore la manière dont les capteurs environnementaux contribuent à la construction d’une planète computationnelle. Elle met en évidence comment ces technologies ne sont pas seulement des outils de mesure, mais participent activement à la définition de notre relation avec l’environnement. Gabrys souligne également les questions liées à la participation citoyenne dans le déploiement et la gestion de ces capteurs, ce qui a des implications importantes pour la démocratisation du monitoring environnemental. Le travail de Gabrys enrichit ainsi la compréhension des capteurs de l’environnement en mettant en évidence leur rôle dans la transformation de nos perceptions de l’environnement, ainsi que les questions liées à la gouvernance participative et à la responsabilité sociale dans l’utilisation de ces technologies. L’idée de capteurs cosmopolitiques est esquissée du fait de la diversité des visions que les capteurs apportent, contribuant ainsi à la reconnaissance des multiples entités qui façonnent la Terre. Stengers souligne également l’importance de considérer les conséquences éthiques de nos actions technologiques et scientifiques. Ainsi, le travail de Stengers élargit la perspective sur les capteurs de l’environnement en mettant l’accent sur les implications plus larges de nos choix technologiques et scientifiques pour la société et la planète. Les STS fournissent des perspectives riches sur la manière dont les capteurs de l’environnement ne sont pas simplement des instruments techniques, mais sont profondément enchevêtrés dans des réseaux sociaux, politiques et éthiques, soulignant ainsi l’importance de comprendre ces technologies au-delà de leurs aspects purement techniques, en mettant l’accent sur les implications sociales et les choix qui les entourent.
Les cartes sont des outils puissants pour construire des connaissances, pour envisager le futur, mais aussi pour attribuer du pouvoir à ceux qui les possèdent (Da Cunha 2018 ; Farinelli 2009 ; Grevsmühl 2024, 2026 ; Koyré 1968 ; Lacoste 2014 ; Latour 1986, 2010, 2013 ; Nagel 1986 ; Shapin 1998). Le Nouveau Régime Climatique (Latour 2018), quant à lui, rend difficile d’envisager ces futurs et nous oblige à questionner nos savoirs, dans leur contenu même et leur méthode, afin, peut-être, de changer le statu quo de l’ordre politique basé sur l’ancien régime, désormais dangereux car il entrave nos actions pour faire face à ce NCR. Les cartes doivent être rebattues. En effet, nous n’avons pas seulement besoin de cartes pour nous positionner en un point de l’espace – le fameux point GPS de la grille de latitude et de longitude (Latour et al. 2010), car cela n’indique pas s’il est encore possible de vivre dans un lieu dévasté par la pollution, le désastre climatique, la stérilisation des sols, etc. En plus des cartes cartésiennes, nous avons besoin de nouvelles cartes pour nous situer dans l’espace-temps du NRC et pour nous montrer avec qui nous habitons et partageons la Terre (Ait Touati, Arènes, Grégoire, 2019).
Une façon d’aborder le problème est d’utiliser les recherches sur les limites planétaires et plus spécifiquement sur les cycles biogéochimiques. Les limites planétaires, qui évaluent l’habitabilité de la Terre, sont en effet largement dépassées (Rockström 2009). La dérégulation des cycles biogéochimiques est responsable du fait que la Terre ne sera pas habitable dans un avenir proche. Les activités humaines ont poussé les cycles biogéochimiques trop loin, mais jusqu’où à l’échelle locale, sur un territoire particulier ? Les limites planétaires ne nous donnent pas ce genre d’informations. Pourtant, ne serait-il pas crucial – critique – pour un territoire de savoir s’il est déjà inhabitable et d’où vient la menace (l’échelle globale à tracer) ? D’une part, les architectes et les urbanistes ont l’habitude de travailler sur des terrains dégradés, des ruines, pour les réhabiliter, mais ne prennent jamais en compte les cycles biogéochimiques dans ce processus. Ils sont cruciaux et pourtant largement négligés, à l’exception des recherches sur le métabolisme territorial (Le Noë et al. 2016, Barles 2017, Esculier 2018) mais qui se concentrent principalement sur les matériaux et les flux de ressources, ou qui ne font pas de recherche sur la cartographie pour changer le point de vue. D’autre part, les cycles sont le plus souvent dessinés sans les activités humaines et les enjeux politiques, ce qui pourrait expliquer le désintérêt de la planification territoriale. A l’ère de l’Anthropocène (Crutzen 2000 ; Zalasiewicz 2015, 2020 ; Bonneuil et Fressoz 2016), ces sphères ne peuvent plus être séparées.
En parallèle, les scientifiques des observatoires des zones critiques développent de nouvelles compréhensions de la Terre (Arènes 2022). Ils étudient comment les cycles terraforment les territoires et comment les activités humaines les perturbent de manière parfois inattendue. Les scientifiques spécialistes des zones critiques cherchent à comprendre les changements des cycles chimiques sur des sites spécifiques à travers la Terre et comment ils sont liés à l’échelle mondiale. Le concept de zone critique (ZC) fait référence à la couche habitable de la Terre, « entre les roches et le ciel ». Les observatoires de la zone critique (OZC) sont situés à plusieurs endroits dans le monde, dans des paysages ou des bassins versants choisis comme sentinelles des perturbations environnementales pour étudier l’eau, le sol, l’air, les organismes vivants et leurs interactions, dans lesquels les processus sont étudiés à toutes les échelles de temps (ou paysages temporels). Les OZC sont des lieux hautement instrumentés avec des capteurs pour surveiller l’appauvrissement des sols, la pollution chimique de l’eau, la perte de biodiversité, sur le long terme et la façon dont ces processus sont couplés et interfèrent dans les lieux de vie (Brantley 2007, 2017), en utilisant la géophysique, la géochimie, la biologie, l’hydrologie et ainsi de suite. Les capteurs sont des fenêtres, des optiques, à partir desquelles les scientifiques observent non seulement des phénomènes importants et parfois invisibles, mais collectent également une quantité importante de données qu’ils stockent, partagent, analysent, échangent, etc. Les capteurs terrestres sont étudiés dans la recherche STS (Houdart 2015, Grabys 2016, 2020) mais pas dans le domaine des zones critiques, même si le réseau est important. Hormis des intérêts récents (Latour et Weibel 2020), ces connaissances ne sont pas suffisamment liées aux sciences humaines ni aux politiques d’aménagement du territoire, et rien n’existe actuellement pour combler cette lacune. Une des manifestations de cette lacune est que les ZC et la façon dont elles tracent les cycles ne sont pas documentées par nos systèmes de représentation actuels, qui ne traitent pas le concept de ZC et les données qui s’y rapportent.
Les questions sont donc les suivantes : comment développer un meilleur système de référence cartographique qui intègre la question des limites planétaires à l’échelle locale afin de mieux situer empiriquement l’habitabilité de la terre ? Comment fonder des cartes, utilisables par la société dans son ensemble, sur les connaissances et les données de la science des zones critiques, avec la question des dynamiques et des ressources terrestres ? Comment informer les territoires et l’aménagement de ces connaissances pour mieux décider du développement et de l’aménagement des territoires ?
Des sols à la zone critique, un engagement écologique
Alors que le sol est l’objet d’une attention croissante ces dernières années, il n’est néanmoins qu’une des dimensions de la zone critique, une de ces couches, certes importante, mais qui doit s’observer, se comprendre, voire être recomposé, avec les autres compartiments de la zone critique, des profondeurs des roches altérées qui, par la lente progression à la surface relâche les minéraux essentiels à la formation de la couche des sols, jusqu’en haut de la canopée où les échanges avec la basse atmosphère provoque l’altération des sols, leur renouvellement constant à la surface de la Terre. Si la zone critique est un objet de recherche scientifique complexe, il n’en est pas moins nécessaire d’en comprendre les principales dynamiques et mécanismes avant d’envisager un projet d’aménagement urbain à toutes les échelles – ou d’artificialisation du sol – qui bouleversera bien plus que la surface du sol. La circulation de l’eau en profondeur, la géologie et morphologie, le climat, les bactéries et champignons, et bien plus encore contribuent à la lente formation des sols selon un cycle naturel que les activités humaines viennent perturber, voire interrompre en déplaçant, supprimant de la matière à plus ou moins grande profondeur. Or, l’aménagement des territoires, qui s’intéresse récemment à la fine couche du sol, est essentiellement basée sur une dynamique d’occupation des sols en surface et tenant peu compte des flux de matières et des cycles biogéochimiques qui terraforment pourtant les territoires.
La recherche-développement entreprise par Atelier shaa / SOC vise à rapprocher les sciences de la zone critique avec l’aménagement du territoire en intégrant ces sciences jusqu’à présent pas du tout mobilisées dans le projet, notamment la géophysique et la géochimie, afin de déterminer ensemble quels paramètres seraient essentiels à prendre en compte dans les projets pour préserver ou restaurer la zone critique en milieu urbain. L’intuition pressentie est qu’une manière plus holistique de faire projet, plus interdisciplinaire, doit être mise en place.
Cela doit s’accompagner d’une compréhension et acceptation socio-écologique. Or, la ville de Ris-Orangis est à ce sujet précurseur de démarches expérimentales socio-environnementales. Depuis 3 ans, SHAA a mené des ateliers de nouveaux cahiers de doléance conçus avec Bruno Latour sur la méthode Où atterrir ? (renouvellement des institutions politiques par le bas) et suite à cela, la ville a lancé le premier Laboratoire des Doléances en France. La ville a par ailleurs été lauréate de l’étude de sols ADEME dans la perspective de la ZAN.
Des capteurs environnementaux encore sous-utilisés pour la conception
Dans les études urbaines sur les ambiances notamment, quelques capteurs sont mobilisés pour mesurer des sons ou niveaux sonores, la lumière, ou la pollution. Les mesures météorologiques et climatiques sont aussi largement utilisées dans ces études et dans les projets urbains qui s’en inspirent. Un capteur mesure un ordre de grandeur d’un élément à connaitre. Les mesures ne sont pas des métriques uniformes telles que celles qu’on retrouve dans les échelles de cartes par exemple. Les capteurs des zones critiques et des Zones Ateliers, et ceux développés dans le projet TERRA FORMA Equipex +, mesurent des ordres de grandeurs variés et parfois incommensurables les uns avec les autres, et c’est ce qui en fait la richesse en termes de potentiel de découverte de nos environnements. Certains capteurs mesurent des positions et des comportements dans l’espace (traceurs GPS sur des insectes, des animaux ou caméra piège video et sonore hyper sensible), d’autres mesures des activités microbiennes en milieu souterrain, d’autres encore des potentiels chimiques, d’autres aussi la respiration des écosystèmes. Ces mesures incommensurables doivent pourtant être mise ensemble : visibles ensemble, comprises ensemble, car elles sont interdépendantes. Ce fut le rôle des cartes de mettre ensemble des informations différentes à partir d’un référentiel commun, partageable, à partir d’un point de vue. Or, si, comme l’affirme Bruno Latour, « la tâche de la connaissance n’a plus pour but d’unifier le divers sous la représentation mais devient celle de multiplier le nombre d’agents qui peuplent le monde », comment retrouver cette nécessité de mise en commun tout en gardant la diversité des points de vue, ou des points de vie, sans effacer la complexité ?
De la concertation aux doléances, un engagement politique
Le Projet Où atterrir ? (OA) (Région Limousin ; Fondation Luma Arles (13), Ville de Ris-Orangis (91), Brézouard dans les Vosges) est une concertation revisitée à 100% pour tenter de la rendre opérationnelle. OA est un projet de description ainsi qu’un projet processuel. C’est un projet qui engage l’espace dans le sens où l’on conçoit des parlements (des choses). Il y a de la spatialisation : comment spatialiser une description ? Comment spatialiser le moment d’échanges avec d’autres personnes présentes ? Le projet OA est une expérimentation grandeur nature dans un travail transdisciplinaire, où des gens différents viennent enrichir l’architecture de ce processus. L’objectif est d’écrire des doléances, qui sont historiquement des prescriptions, des demandes, qui ont transformées le territoire. La doléance est une préprogrammation. C’est comme si l’on faisait une concertation non pas à partir d’un projet qui est déjà fait et qu’il ‘faut faire accepter’, mais parce que l’on ne sait justement pas quoi faire. A Ris Orangis, dans cette optique, le projet OA a renouvelé les pratiques de la commune. Cela met la concertation très en amont par la description et l’écriture de doléances avant le projet, et c’est de cela que découlera le projet.
Les projets interdisciplinaires de recherche ZC et OA, croisant sciences de la Terre, sciences politiques, sciences humaines et sociales, cartographie et architecture, nécessitent la structuration de deux pôles R&D au sein de shaā.
D’abord, créer un objet identifiable pour la création de projets d’aménagement avec les sciences de la zone critique. Nous proposons de construire une plateforme Atlas des Zones critiques, proposant à la fois des outils cartographiques et des données scientifiques pour intégrer les paramètres des sciences de la Terre dans la conception des projets d’aménagement.
En second lieu, transformer les protocoles de concertation qui atteignent aujourd’hui des plafonds de verre vers des protocoles Où atterrir. Nous proposons d’insérer ces protocoles dans chaque consultation pour déplacer la commande et intégrer les doléances des citoyens, notamment dans les milieux périurbains ou les classes socio-professionnelles sous représentés dans les décisions d’aménagement des territoires.
Résultats
Ces travaux ont été présentés dans de nombreuses conférences internationales et séminaires et dans divers champs disciplinaires et contextes (spatial studies, STS, sciences de la Terre, théorie des Arts), et ont fait l’objet de plusieurs publications (articles en comités de lecture, chapitres de livre, articles de revue). Parmi les objectifs de tous ces projets de recherche figurait l’incarnation de questions globales dans un récit local qui prend en compte les liens entre les collectifs humains et non humains, à la fois dans ses dimensions matérielles, cartographiques et affectives (attachement au territoire). La description des capteurs avec de nouvelles infrastructures permet aux scientifiques et aux citoyens de collecter de nouveaux signaux, de lever le voile de l’invisibilité, de faciliter l’ubiquité afin de saisir les points et moments chauds, et de multiplier les points de vue sur cette terre inconnue et soudainement réactive.
LIVRES (voir détails sur le site)
CHAPITRE DE LIVRE
2024 (à paraître) – « Voyager dans la zone critique », dans Habiter la terre, sous la direction de Bruno Latour et Sébastien Dutreuil, Ed. La découverte.
2022 – « The Critical Zone observatory space », dans Infrastructural Love: Caring for Our Architectural Support Systems, édité par A.Carbonell, H.Frichot, H.Frykolm, and S.Karami. Editions Birkhäuser 2020 – « Traveling through the Critical Zone » dans Critical Zones. The Science and Politics of Landing on Earth, édité par Bruno Latour et Peter Weibel. MIT Press.
ARTICLES
2024 – « From Spheres to cycles » in Log 60 : The Sixth Sphere
2024 – « Terra Forma Speculative Mapping : Paris Watershed and Underground Environment » in Footprint 33 : Situating More-Than-Human Ecologies of Extended Urbanisation, TU Delft Journal.
2020 – « Inside the Critical Zone » dans GeoHumanities Monsoon Assemblages Forum: Practices and Curations. Editions Taylor & Francis. DOI: 10.1080/2373566X.2020.1803758
2018 – « Giving Depth to the Surface – an Exercise in the Gaia-graphy of Critical Zones », dans The Antropocene Review, Volume 5 Issue, avec Bruno Latour et Jérôme Gaillardet. Editions SAGE journals
2022 – « Cartographier l’arbre-monde », dans les Carnets du paysage n°40, Vivants d’abord, édité par G.Tiberghien et JM. Besse. Éditions Acte Sud.
2022 – « Cartographies invisibles » dans Regards du Grand Paris, Éditions Textuel, centre National des Arts Plastiques et Ateliers Médicis. Avec F.Aït-Touati et A.Grégoire.
2022. The soil map of the Strengbach Critical Zone Observatory, dans OASE 110.
2019 – « If the Earth is not the globe, how to sketch it? » dans NESS 2: Mad World Pictures. Avec Bruno Latour.
WORKSHOPS
2023 – Atelier « Abaque des préoccupations », journées d’études « Les marges de manœuvre, ce que peut l’enseignement des Arts et Techniques de la Représentation en temps de crise à l’école d’art de Clermont-Ferrand sur invitation de Guillaume Meigneux.
CONFERENCES 2023-2024
2024 – Table ronde “Natures urbaines” au Pavillon de l’Arsenal, Paris.
2024 – keynote speaker ARCC-EAAE 2024 Conference at the Aarhus School of Architecture, Denmark.
2024 – Table-ronde “Les gares du Grand Paris”. Cité de l’Architecture Paris.
2023 – « Réinventer le regard ». Conférence plénière, Fribourg HEIA HES.SO
2023 – « Terra Forma ». Académie du Climat, Paris. Invitation des écoles de Design de Paris
2023 – « D’autres Cartes ». École d’Architecture de Paris Malaquais. Cycle de conférences « D’autres Reliefs».
2023 – « Setting the Course ». Harvard GSD international seminar.
2023 – Journées d’études Bruno Latour et l’architecture. Communication « La science et la politique ». ENSA Malaquais
2023 – Table-ronde avec P.Descola et G.Quesnet organisé par EVA Pôle environnement, ville, architecture, digital & Architecture Studio
2023 – « Terra Forma : connectedness. From territory to terrestrial ». Symposium Spatial Figures in the Anthropocene. ICI Berlin. Collaborative research Center 1265 « Re-Figuration of Spaces ». Technische Universitat Berlin
2023 – Table-ronde « Composer avec les vivants » EDF Pulse Design
2023 – Table-ronde Maison de l’Architecture Ile de France. « Bruno Latour et les architectes. » 2023 – Table-ronde « Expérimenter l’interdisciplinarité », Colloque Habitabilités, Centre des Politiques de la Terre.
2023 – « Du modèle à la cartographie des observatoires », Séminaire Visualités environnementales, Ecole doctorale SHS, Université de Lille.
2023 – « Speculative mappings for the critical zone ». Keynote speaker Weaving Worlds, organised by Department of Architecture, Delft University of Technology, Netherlands athe t New Institut Rotterdam.
2023 – « Cosmopolitical landscapes: report from the critical zone”. Designing in Times of the Anthropocene, Lecture Series Organized by Matters of Activity (Cluster of excellence), Humboldt University, Germany.
2023 – « The critical zone: experimental mapping of earth processes.” Urbanism Department, TU Delft. Transitional Territories lecture series
2023 – “Turning Back Inside? Ethnographies of Interiors”. Humboldt University, Architectural Ethnography Network (Netzwerk Architekturwissenschaft), Berlin, Germany.
2023 – « Terra Forma, speculative maps. ». Postgraduate Seminar Power||Energy: Mapping the Thickened Ground of Labour Harvard Graduate School of Design.
2023 – « Terra Forma, speculative maps. » Landscape Architecture Department, Technische Universität Berlin.
Bibliographie
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